D : Sous les oliviers
Le douzième passage se trouve dans Luc / 12. C’est le jeudi soir de la semaine de la Passion. Jésus et ses disciples sont réunis à Jérusalem, dans la chambre haute, et là, ils célèbrent la vieille fête de Pâque, instituant en même temps la nouvelle Pâque chrétienne. Mais cette heure consacrée elle-même est troublée par l’égoïsme des disciples. Jésus, avec la patience et l’amour qui le caractérisent, leur donne cet admirable exemple d’humilité que relate le treizième chapitre de Jean. Il leur explique avec douceur ce qu’il attend de ses disciples et, se tournant vers Pierre, qu’il interpelle par son ancien nom, il lui dit : « Simon, Simon, Satan vous a réclamés pour vous cribler comme le froment. Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point. » Il avait prié spécialement pour Pierre. Voici aussi une de ses habitudes de prière : prier pour les autres, et cette habitude bénie, il ne s’en est pas départi. Il est capable de sauver jusqu’à la fin ceux qui s’approchent de Dieu par son intermédiaire, car il vit toujours pour intercéder pour eux. Assis maintenant à la droite du Père, dans la gloire, il prie pour chacun de ceux qui se confient en lui. La treizième mention est bien connue. Elle est contenue dans le chapitre : 17 de Jean. Ce chapitre renferme les dernières paroles de Jésus au monde. Du chapitre : 13 à la fin du dix-septième, nous trouvons Jésus seul avec ses disciples. Lorsqu’on lit cette prière avec attention, on découvre que Jésus s’appuie sur la certitude que son œuvre sur la terre est terminée (quoique la scène principale soit encore à venir); désormais il va rentrer en la présence de Son Père et être réinstallé à nouveau dans Sa gloire. Cette prière nous donne une idée de la prière qu’il adresse maintenant pour nous, de sa prière en qualité d’Intercesseur ou de Grand-Prêtre. Pendant trente ans, il a vécu une vie de perfection; pendant trois ans et demi, il a parlé aux hommes de la part de Dieu; depuis dix-neuf siècles, il est un Grand-Prêtre parlant à Dieu au nom de l’humanité. Lorsqu’il reviendra, il sera Roi et gouvernera les hommes au nom de Dieu.
Le quatorzième texte nous amène dans les limites sacrées du jardin de Gethsémané, un des endroits que Jésus affectionnait tout particulièrement pour prier. Cette scène est relatée dans Matthieu : 26, Marc : 14 et Luc : 21.
Approchons-nous avec le plus profond respect de cet endroit, car c’est un lieu saint. La scène se passe également le jeudi, mais un peu plus tard; cette journée avait été extraordinairement remplie et pourtant elle devait être encore fertile en incidents. Après l’entretien de la chambre haute et la prière si simple et si magnifique que Jésus y prononça, le Maître conduit ses disciples hors de la ville; ils passent le Cédron rapide et boueux et pénètrent dans le bosquet d’oliviers qui le domine. Jésus ne devait pas dormir cette nuit-là. Dans une heure ou deux, les soldats romains et la populace juive, conduits par le traître, allaient venir le chercher. Jésus entendait donc passer dans la prière les instants qui lui restaient.
A cause de ce besoin de sympathie qui apparaît si fort durant ces derniers mois, il prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et se retire dans la partie la plus sombre du jardin; et c’est là qu’eut lieu ce combat intérieur étrange et terrible. Il semble que ce soit le renouvellement du conflit qu’il eut à subir (Jean : 12) lorsque les Grecs vinrent le trouver; mais ce fut infiniment plus douloureux. Lui qui se savait sans tache, il commençait maintenant à éprouver dans son esprit ce qu’il allait éprouver en fait dans quelques heures, à savoir qu’il allait être fait péché pour nous. Et cette effrayante vision s’empare de lui avec une force si terrible qu’il semble que son corps ne supportera pas l’effort de cette agonie mentale. L’épreuve, qu’il subit réellement le jour suivant, produisit une agonie telle que ses forces physiques l’abandonnèrent. En effet, il ne mourut pas des souffrances physiques qu’il endura, si atroces fussent-elles; mais son cœur se brisa sous l’effet de sa souffrance intérieure. Il n’est pas possible à une âme pécheresse de juger avec quelle crainte et avec quelle horreur l’âme pure de Jésus vit s’approcher le moment où il allait entrer en contact avec le péché d’un monde entier. Silencieusement, pleins d’un saint respect, nous suivons cette forme solitaire à travers les arbres; tantôt il est à genoux; par moments, il se jette la face contre terre et reste étendu sur le sol. Il priait, demandant que, si c’était possible, cette heure pût passer loin de lui. Un fragment de cette prière parvient à nos oreilles : « Abba, Père, toutes choses Te sont possibles. S’il est possible que cette coupe s’éloigne de moi! Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que Tu veux. » Nous ne savons combien de temps il resta en prière, mais la tension de son esprit était si grande qu’un ange lui apparut pour le fortifier. Ensuite, « étant en agonie, il priait instamment, et la sueur devint comme des grumeaux de sang, qui tombaient en terre. » Quand, enfin, il se relève, après ces instants de lutte et de prière si intense, la victoire semble être remportée, et quelque chose du calme d’autrefois réapparaît sur ses traits. Il se rend vers les disciples endormis; soucieux de les préparer à l’épreuve suprême, il leur recommande de prier; puis il retourne dans la solitude, toujours pour prier; mais le changement qui s’opère dans sa prière nous révèle qu’il a remporté la victoire intérieure : « Mon Père, s’il n’est pas possible que cette coupe s’éloigne sans que je la boive, que Ta volonté soit faite ! » La victoire est complète; la crise est passée. Il s’abandonne à cette épreuve terrible qui, seule, peut faire aboutir l’adorable plan de rédemption de Dieu pour un monde qui, sans cela, périrait. De nouveau Jésus retourne vers ses pauvres disciples si faibles; puis il regagne encore la solitude pour se fortifier davantage dans la communion avec son Père. Voici maintenant les torches qui brillent dans les ténèbres et qui lui disent : « L’heure est venue ! » Le pas ferme, une paix merveilleuse illuminant son visage, il va au-devant de ses ennemis.
C’est ainsi qu’il surmonta la plus grande crise de sa vie de prière.
Vient enfin la quinzième et dernière mention. Des sept paroles que Jésus prononça sur la croix, trois sont des prières. Luc nous dit que, pendant que les soldats enfonçaient les clous dans ses mains et ses pieds et pendant qu’ils dressaient la croix, lui, le Christ, ne pensant même pas à lui, mais aux autres, s’écria : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font. »
C’était à l’heure du sacrifice du soir, à la fin de cette étrange période de ténèbres qui jetèrent leur voile sur la nature entière, après un silence de trois heures, qu’il jeta ce cri déchirant : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-Tu abandonné ? » Un peu plus tard, un cri triomphant montra que sa tâche était accomplie, et ses dernières paroles furent une prière qu’il prononça dans la paix, avant de rendre l’âme : « Je remets mon esprit entre Tes mains. »
Ainsi son dernier souffle fut encore une prière.
E : Dernier coup d’œil sur la vie de prière de Jésus
Pour clore cette étude, je pense qu’il sera utile au lecteur d’avoir un tableau d’ensemble de ces différents passages.
a : Heures de prière de Jésus
Il semble qu’il ait consacré habituellement les heures du matin à la méditation et à la prière; c’est alors qu’il venait chercher la volonté de Son Père. Cette idée est suggérée par Marc : 1 / 35 ; Esaïe : 50 / 4-6 ; à rapprocher de Jean : 7 / 16 ; Jean : 8 / 28 ; Jean : 12 / 49.
Outre ces heures régulières, il recherchait toutes les occasions de prier et priait chaque fois qu’il en sentait particulièrement le besoin, jusque tard dans la nuit quand tous dormaient. Trois fois il resta en prière toute la nuit. Remarquez qu’il choisissait un moment tranquille, l’heure où les voix de la terre se taisaient. Il passait aussi dans la prière les heures qui précédaient ou qui suivaient des événements importants.
b : Lieux de prière
- Celui qui disait : « Entre dans ta chambre, ferme ta porte et prie ton Père en secret » n’avait lui-même pas de chambre où il pût se retirer pour prier. Sans foyer pendant les trois ans et demi de ses courses incessantes, sa place favorite était un lieu abandonné, le désert, les montagnes, un endroit solitaire. Il aimait la nature. Le sommet de la colline qui dominait le village de Nazareth, les coteaux qui s’étageaient au-dessus du lac de Galilée étaient des endroits qu’il affectionnait particulièrement. Et remarquez que c’était toujours un lieu tranquille, à l’abri des sons discordants de la terre.
c : Il était toujours en prière
- Son esprit était sans cesse plongé dans la méditation. Il pouvait être seul au milieu d’une foule.
On a dit qu’il y a trois sortes de solitudes: celle due au temps : les premières heures du matin ou toutes celles de la nuit; celle due au lieu: un sommet, une forêt, une chambre close; et enfin la solitude d’esprit, grâce à laquelle un homme, entouré d’une foule, peut se sentir seul et rester plongé dans sa méditation. Jésus recherchait et trouvait ces trois solitudes, pour parler avec son Père.
d : Il priait dans les grandes crises de sa vie
- Cinq exemples nous en sont donnés : 1° Avant la terrible bataille que Satan lui livre dans le désert; 2° avant de choisir les douze chefs qui poursuivraient son œuvre; 3° au moment où la Galilée se détache de lui; 4° avant son départ de la Galilée pour la Judée et Jérusalem, et enfin 5° à Gethsémané, la plus grande crise de toutes.
e : Il priait pour d’autres
- Il priait pour d’autres par leur nom, et il continue de le faire.
f : Il priait avec d’autres
- C’est une habitude dont nous devrions nous inspirer davantage. Quelques minutes consacrées à la prière avec des amis, des collègues, calment étonnamment l’esprit, cimentent les amitiés, aplanissent les difficultés et facilitent la solution des problèmes les plus ardus.
g : Les plus grandes bénédictions de sa vie vinrent pendant la prière
- Les Evangiles nous fournissent six faits à ce sujet : Pendant qu’il priait, 1° le Saint-Esprit descendit sur lui; 2° Il fut transfiguré; 3°, 4°, 5° par trois fois une voix du Ciel se fit entendre pour l’approuver, et enfin, dans son heure de plus grande détresse, un messager du Ciel vint pour le fortifier.
Quelle puissance la prière était pour Jésus ! Non seulement c’était une habitude régulière mais c’était sa ressource toutes les fois qu’il avait une décision à prendre, importante ou non. Quand il était préoccupé, il priait; quand le travail l’accablait, il priait. Quand il avait besoin de compagnie, il la trouvait dans la prière. Il choisissait ses aides à genoux. Etait-il tenté, il priait; critiqué, il priait. Etait-il fatigué de corps ou d’esprit, il avait encore recours à son remède infaillible, la prière. Elle lui donnait un pouvoir sans bornes et maintenait cette puissance intacte durant toute son activité. Il n’y avait pas d’événement, de difficulté, de nécessité, de tentation qu’il ne surmontât grâce à la prière, telle qu’il la pratiquait.
Et nous, qui avons ainsi suivi pas à pas sa vie de prière, ne voulons-nous pas méditer ces passages à nouveau jusqu’à ce que nous respirions l’esprit de prière qui s’en dégage et ne lui demanderons-nous pas, nous aussi, de nous enseigner jour après jour comment prier ? Et enfin n’essaierons-nous pas d’être seuls avec lui, à heures régulières, pour lui donner l’occasion de nous enseigner et pour avoir ainsi l’occasion de mettre en pratique son enseignement ?
Dieu veuille que tel soit le désir de chacun de nous !
UNE DÉLIVRANCE MIRACULEUSE (1)
Dieu n’est jamais la cause d’aucune de nos déceptions. Il ne l’a jamais été; Il ne le sera jamais; Il ne peut pas l’être. Cela ne veut pas dire que nous n’ayons jamais de déceptions. Nous connaissons trop la vie pour nous faire des illusions à ce sujet. Mais cela veut dire que nos déceptions ne viennent pas de Dieu; au contraire, elles viennent malgré Lui. Et Il en souffre autant que nous, plus peut-être.
Dieu ne manque jamais à sa Parole; Il y est absolument fidèle. La promesse d’un banquier est loin d’offrir autant de garanties, car une banque peut faire faillite, mais Dieu pas. L’Ecriture ne peut être anéantie. (Jean : 10 / 35) Jusqu’ici rien n’a pu l’ébranler. Dieu veille attentivement sur sa Parole et n’en laisse pas effacer un iota. (Jérémie : 1 / 12 ; Matthieu : 5 / 18 ; Matthieu : 24 / 35)
La vraie prière est toujours efficace. Elle ne peut pas échouer, parce qu’elle s’appuie sur Dieu et sur sa Parole. Je parle ici, notez-le bien, de la vraie prière, car on emploie trop souvent le mot prière d’une façon superficielle et on lui fait désigner bien des choses qui ne sont pas vraiment des prières.
La prière est en elle-même une chose fort simple. C’est la demande de quelque chose dont on a besoin, demande faite par un cœur sincère, s’appuyant sur les promesses de la Parole de Dieu et se réclamant du sang de Jésus. (Apocalypse : 12 / 11) C’est là une chose toute simple. Sa puissance, pour autant qu’elle dépend de l’homme, réside dans sa simplicité même. Cette prière-là ne demeure jamais sans réponse. Elle est toujours exaucée; elle ne peut pas ne pas l’être. Le ciel et la terre passeraient avant qu’une vraie prière reste sans effet.
On ne peut guère se représenter qu’à la suite d’un événement extraordinaire et vraiment invraisemblable, la Banque d’Angleterre soit obligée un jour de suspendre ses paiements, ou que le gouvernement de Washington ne puisse plus faire face à ses engagements. Et, pourtant, des catastrophes analogues se sont déjà produites. Mais que Dieu permette qu’un de ses enfants, après avoir placé sa confiance en Lui, soit déçu, cela est impossible, pour autant du moins que cela dépend de Lui. Sa Parole est sûre et ne peut faillir.
Le jour où se produiront les tremblements de terre prédits dans l’Apocalypse, les chèques, les billets de banque, les actions garanties par l’Etat, les valeurs « de toute sécurité » n’auront pas plus de valeur que le papier sur lequel ils sont imprimés. Tandis que pas une lettre de ce vieux Livre qu’on nomme la Bible ne sera atteinte, pas une parcelle de la puissance de Dieu ne sera amoindrie. Il n’y aura pas de baisse dans ses trésors, ses actions seront plus hautes que jamais.
La vie de tous les jours se charge d’illustrer cette vérité. Il arrive encore à notre époque des histoires aussi frappantes que celle de la veuve de Sarepta dont la provision de farine ne s’épuisait jamais. (1 Rois : 17 / 8-16) En maint endroit ignoré de la terre, Dieu montre sa fidélité à ceux qui ont à la fois assez de simplicité et assez de force pour se confier en Lui et pour gravir l’âpre sentier de la foi.
J’ai appris dernièrement un fait de ce genre; je veux le raconter ici, tout simplement, tel qu’il m’a été révélé. Je ne le considère pas, d’ailleurs, comme un fait exceptionnel; il me semble plutôt qu’il est conforme à la manière dont Dieu agit à l’égard de ceux qui mettent leur confiance en Lui. (Genèse : 22 / 16-18 ; Jean : 2 / 24-25)
Bien des fleurs cachent modestement leur beauté et leur suave parfum sous un épais feuillage. Le muguet recherche les coins ombragés. Les fleurs les plus belles ne se trouvent pas dans les vitrines des magasins; elles ne sont découvertes que par ceux qui les cherchent dans la douce retraite des vallées ou dans la solitude de la montagne. La vérité, elle aussi, est modeste et réservée. Et il y a, si j’ose dire, une exquise modestie en Dieu. Il parle à l’humanité par le soleil radieux, par le ciel étoile, par la pluie bienfaisante et la fraîche rosée. Mais il ne se révèle vraiment qu’à ceux qui sortent de la foule et qui s’approchent de Lui. C’est à ceux qui cherchent la communion du cœur avec Lui et à ceux-là seuls qu’il fait connaître les profondeurs de son amour. (Psaume : 25 / 14 ; Jean : 15 / 15)
L’histoire que je vais raconter est celle d’une femme qui menait une existence tranquille dans un coin retiré du monde. Nous y verrons la pauvreté spirituelle du milieu dans lequel elle vivait; le courage avec lequel elle s’efforça de remédier à cette misère; la détresse par laquelle elle passa lorsque l’Adversaire harcelait et torturait son âme; enfin, l’inébranlable fidélité de Dieu. Car tout l’enseignement de ce simple récit est là : Dieu est fidèle (1 Corinthiens : 10 / 13) Il ne peut pas manquer à sa Parole. La prière est toujours exaucée.
Je vous rapporte cette histoire comme elle s’est présentée à moi, car je vois, dans les circonstances mêmes à travers lesquelles elle m’est parvenue, une action directe de Dieu. J’ai été conduit, nettement conduit à la découvrir. Cela fait comme une introduction à mon récit.
Je me trouvais à Stockholm, un soir d’hiver, parmi tout un cercle de chrétiens réunis à table. Nous revenions d’une réunion et, pendant le repas, nous nous faisions part de nos expériences touchant la bonté du Seigneur. Une dame de la société en vint à raconter, en se faisant traduire, une expérience peu commune faite par une de ses amies en Finlande.
Il s’agissait d’une femme qui avait à payer une traite faussement surchargée, pour des bois de charpente employés à la construction d’une petite chapelle. Elle n’avait pas assez d’argent, et tous ses efforts pour se procurer la somme nécessaire avaient échoué; la justice allait intervenir; tout à coup, pendant qu’elle priait, la somme, contenue dans une petite boîte, se mit à augmenter et devint suffisante pour payer la traite. Telle était l’histoire, en résumé. Elle frappa vivement tous les auditeurs. Un tel fait, de nos jours, paraissait chose inouïe. Aussi les plus sérieux et les plus avisés parmi nous ne craignirent-ils pas d’exprimer quelque doute. On doutait, non pas que Dieu puisse faire une chose pareille, mais que l’histoire fût exactement rapportée. On se demandait si, dans sa joie, cette femme ne se serait pas trompée; si un ami ne lui serait pas venu en aide à son insu; si elle avait l’habitude de tenir des comptes; si la boîte était bien fermée. Il s’agissait sans doute d’une femme sincère, mais très impressionnable. C’est ainsi que questions et remarques allaient leur train.
En entendant ce récit, puis les commentaires, je me dis que, si l’histoire était vraie - et l’amie qui nous la racontait et qui connaissait personnellement la femme en question, en semblait absolument convaincue - on devait la garder secrète jusqu’au jour où l’on aurait les moyens d’en vérifier l’exactitude, mais que lorsqu’on pourrait en faire la preuve, il y aurait lieu de la publier, et de la publier hautement. Depuis lors, ma femme et moi, nous nous mîmes à présenter chaque jour la chose à Dieu, lui demandant, si le fait était exact, de nous permettre de visiter un jour cet humble village de Finlande et de m’accorder le privilège de prêcher dans la petite chapelle.
Plusieurs mois s’écoulèrent; à la fin du même hiver, je reçus un appel de Finlande, mais ne pus l’accepter, étant déjà engagé ailleurs pour la date qu’on me fixait. Un peu plus tard, on me demanda, de façon pressante, de me rendre l’été en Finlande, et cette fois j’eus la joie de pouvoir accepter. Mais c’était sur la côte sud de la Finlande, à une longue distance - douze heures de trajet - du village où la chose s’était passée. Cependant ma prière quotidienne permit à Dieu d’accomplir son plan.
Peu de temps après, me trouvant à Christiania pour des réunions, je fus invité à la Conférence annuelle des Eglises libres de Finlande. Le nom de la localité où elle devait se tenir m’était totalement inconnu. Aussi nous nous hâtâmes, ma femme et moi, de nous rendre à un bureau de renseignements et de consulter une carte. Nous vîmes avec une réelle émotion, que c’était tout au nord de la Finlande et que nous devrions juste passer par le village que nous désirions tant connaître. Comme la date de cette conférence suivait de près celle des réunions que je devais avoir en Finlande, il nous sembla que nous étions dirigés par une main invisible, que l’histoire devait être vraie et que Dieu désirait le faire connaître, à nous et à d’autres. Mais je persistai à garder le secret le plus absolu.
C’est alors que je reçus une lettre de la personne qui avait fait cette remarquable expérience et avec laquelle j’avais correspondu pendant l’hiver. Elle me disait qu’elle était déléguée à cette conférence des Eglises libres et m’invitait à prendre part à des conférences régionales qui devaient avoir lieu la semaine d’après dans le village qu’elle habitait. Enfin je fus invité à des cours de vacances d’une Université finlandaise, cours qui avaient lieu à deux heures de ce même village.
Lieux et dates, tout s’accordait à merveille. Mon émotion s’accrut. Je sentais qu’il y avait là un plan de Dieu et que j’étais dans la main d’un Guide invisible. Il allait me faire rencontrer cette femme, m’amener dans son village, dans sa maison, et jusque dans la petite chapelle qui était comme un témoin et un monument de cette merveilleuse délivrance. J’avais demandé à Dieu que, si ce voyage en Finlande et en Norvège était conforme à sa volonté, il le montrât en en réglant lui-même le cours. Or, aucun itinéraire n’avait jamais été aussi satisfaisant que celui-là. Tout y concordait à merveille, l’heure des trains et l’heure des réunions, comme si tout avait été arrangé d’avance. En trois semaines, je pus ainsi assister à cinq congrès annuels, réunissant des chrétiens de toutes les parties de la Finlande et des auditoires très différents. J’appris dans la suite que l’amie à laquelle la chose était arrivée avait, de son côté, demandé à Dieu de faire connaître au loin la délivrance qu’il lui avait accordée, afin que sa fidélité fût glorifiée. Puis, lorsqu’elle apprit que je venais en Finlande, elle pria pour que les portes me fussent largement ouvertes, mais évita de faire quoi que ce soit elle-même, pour que la volonté de Dieu et sa puissance en fussent plus manifestes. On voit que nos prières furent admirablement exaucées.
Nous avions également demandé à Dieu de nous faire trouver un bon interprète. En effet, je ne pouvais arriver à une claire intelligence de l’événement que si j’avais, pour me l’expliquer, une personne parlant à la perfection l’anglais et le suédois. Or, c’était très difficile. D’abord, parce que les bons interprètes sont très rares; ensuite, parce que les habitants de cette région ne parlent que le finnois, qui est la langue des sept huitièmes des Finlandais environ. Il fallait donc trouver un interprète capable de parler couramment le finnois et l’anglais pour nos réunions et, de plus, pour notre histoire, le suédois, langue maternelle de la personne que nous allions visiter.
Tout s’arrangea de telle sorte que la réponse à nos prières n’aurait pas pu être plus satisfaisante. L’une des personnes qui m’avait traduit à la Conférence de l’Eglise libre se trouvait être en relations avec notre amie. C’était une maîtresse d’école de la capitale de la Finlande, et elle réunissait à un rare degré les qualités intellectuelles et spirituelles qu’il faut pour bien traduire. Le finnois était sa langue maternelle; elle avait appris le suédois dans son enfance et parlait l’anglais avec toute la facilité désirable. J’ai appris dans la suite qu’elle était bien connue pour ses aptitudes à l’enseignement, son habileté à traduire, son sérieux comme chrétienne. Quoique j’aie eu d’excellents interprètes, je n’ai jamais été traduit avec autant de ferveur, d’amour et d’intelligence. Cette dame était en vacances et eut l’amabilité de mettre à ma disposition le temps dont elle disposait. J’ai un peu anticipé sur les événements, afin de mettre en pleine lumière la façon dont Dieu m’a guidé dans toute cette affaire.
C’est avec une singulière émotion et un profond sentiment de la présence de Dieu que nous nous rendîmes en Finlande, aux différents endroits où nous étions attendus. Jamais je n’oublierai ces trois semaines passées en Finlande. Si jamais je me suis senti au pouvoir de la volonté de Dieu, c’est pendant ces jours-là. Il se dégageait des réunions une calme et irrésistible puissance. C’était comme un courant qui m’entraînait, et pour avoir de la puissance, je n’avais qu’à rester dans le courant.
Nous trouvâmes donc notre amie, et nous nous rendîmes ensuite dans son village situé dans l’intérieur du pays, à deux heures de chemin de fer de la côte de la mer Baltique; nous arrivâmes enfin dans sa modeste demeure et jusque dans la petite chapelle dont l’histoire nous parlait en termes si admirables de la fidélité de Dieu.
L’endroit qu’elle habite n’est pas à proprement parler un village, c’est un embranchement important de lignes de chemin de fer se rendant en Russie. Nous avions environ deux jours devant nous avant les réunions suivantes, pour nous entretenir avec notre nouvelle amie et pour entendre son histoire C’est une directrice des postes, une femme d’âge moyen, d’apparence modeste, dont le visage bon et patient racontait toute une vie de pénible labeur et de dévouement. Son frère était un ministre de la vieille Eglise nationale, à Abo, la vieille cité épiscopale du centre de la Finlande. Elle y avait passé son enfance et sa jeunesse; le père de sa mère était médecin. Elle-même était depuis plus de vingt ans dans les postes, et elle avait dû passer un sérieux examen pour y entrer.
Cela a plus d’importance que chez nous, car, dans ces régions reculées de la Finlande, la poste est en réalité une sorte de banque d’Etat, et la plupart des transactions, au lieu de se faire par chèques, se font par mandats. En outre, le développement du trafic par voie ferrée avait augmenté l’importance de son bureau, et elle avait toujours trois, parfois quatre ou cinq employés. J’ai pu constater que, pendant le trimestre écoulé, il lui avait passé entre les mains, rien que comme valeurs recommandées, une somme d’environ un million de marks finnois (2), ce qui représente pour l’année entière à peu près quatre millions de francs. Je ne parle pas des sommes non recommandées, dont on ne peut savoir la valeur, mais cela suffit pour montrer l’importance de son bureau et la responsabilités qui lui incombait.
Ses livres étaient parfaitement tenus, aussi bien tenus que ceux que j’ai pu voir lorsque j’étais moi-même dans une banque. Cela anéantissait les objections que j’avais entendu faire à Stockholm : cette femme était habituée, depuis de longues années, à tenir une importante comptabilité. L’exactitude absolue dans les affaires d’argent était devenue comme inhérente à sa nature.
Par quelques questions, je me rendis compte des besoins qui avaient conduit à la construction de cette chapelle. Il y a en Finlande une Eglise nationale, l’Eglise luthérienne, qui est en somme la seule Eglise du pays, l’Eglise libre étant d’origine relativement récente et n’ayant pas encore d’existence légale. Le territoire est divisé en paroisses, la plupart très étendues. En cet endroit, la paroisse, très grande, n’avait qu’une seule église pour une population de quatre mille habitants et un territoire de vingt-huit kilomètres de long. Cette église se trouvait à quatre kilomètres du village, et les églises les plus rapprochées après elle se trouvaient à six, seize et dix-neuf kilomètres. Grâce à l’initiative de notre amie, des réunions avaient été organisées dans des salles d’école et dans des maisons particulières, et il en était résulté de nombreuses conversions et beaucoup de bénédictions; aussi le besoin d’une petite chapelle se faisait-il grandement sentir. L’histoire de sa construction est très intéressante, mais je dois en venir de suite à celle de l’argent.
Durant la construction de la chapelle, arriva tout à coup une traite en paiement de bois qui avait été commandé et livré pour la charpente. Seulement, la somme était plus grande que le prix convenu : 751 francs au lieu de 616. De plus, la traite était accompagnée d’une lettre peu courtoise exigeant un paiement immédiat et menaçant de poursuites judiciaires. Cela, contrairement aux usages commerciaux du pays qui accordent de longs crédits. Ainsi la somme était malhonnêtement augmentée; le délai usuel n’était pas accordé, et on menaçait d’une action judiciaire. C’était un événement aussi imprévu que désagréable.
Notre amie était bien embarrassée par cette augmentation inattendue de la dette. Une différence de plus de 130 francs était sérieuse, vu les fonds limités dont on disposait et la difficulté qu’il y avait à trouver de l’argent pour l’entreprise. Elle pouvait refuser de payer et aller en justice; mais c’étaient des complications sans fin et de nouvelles dépenses, et d’ailleurs, notre amie ne pouvait, en bonne conscience, engager la cause de Dieu dans un procès. Les paroles de Jésus : « Si quelqu’un veut plaider avec toi pour t’enlever ta tunique, abandonne-lui aussi ton manteau » (Matthieu : 5 / 40) lui revenaient sans cesse en mémoire. Enfin, elle résolut de payer la somme entière si elle y était contrainte, mais non sans protester énergiquement contre cette injustice. Elle devait, par la suite, être grandement fortifiée dans ses prières par le sentiment qu’elle avait agi d’une manière conforme aux enseignements du Maître.
Les fonds pour la construction de la chapelle venaient uniquement de dons volontaires offerts par les fidèles. Ceux-ci étant très pauvres, les ressources étaient des plus limitées. Toute la responsabilité reposait sur notre amie qui avait, d’autre part, rencontré beaucoup d’opposition du côté des membres de l’Eglise nationale. Elle connut des jours de profonde détresse.
Mais elle cria à Dieu, et une paix profonde finit par envahir son âme et semblait planer sur elle. Elle commença alors à prier pour cet argent. Cela se passait en mai 1908, et si l’affaire allait en justice, elle avait jusqu’en octobre pour payer.
Ce fut pour elle un temps inoubliable d’efforts incessants, de continuelles déceptions, de prière constante, de détresse intérieure, et, alternant avec tout cela, de paix et de calme. Tous ses efforts pour obtenir de l’argent, sous forme de dons ou sous forme de prêt, restaient vains. Elle semblait se heurter à un mur. Elle rencontrait partout critiques, reproches et railleries, mais guère d’argent. Son embarras fut bientôt connu et commenté par la petite communauté, surtout par ceux qui s’étaient opposés à la construction de la chapelle et qui annonçaient maintenant qu’il faudrait la vendre pour payer la dette.
Mais elle ne cessait pas de prier. Selon son expression, « la lampe de la prière brillait jour et nuit. » Son angoisse était grande. Le dernier délai approchait; il fallait agir. L’encaisseur était bien disposé, mais naturellement il devait faire son devoir. Un dernier effort, un voyage à une ville voisine demeura de même sans résultat. L’ami qu’elle voulait voir était absent, et sa femme exprima l’avis qu’elle n’aurait pas dû commencer à bâtir avant d’avoir les fonds nécessaires. Elle reprit son train, plus embarrassée que jamais, et pourtant elle avait toujours cet étrange sentiment de paix qui ne la quittait pas.
Elle était si émue en nous faisant ce récit qu’elle dut s’interrompre un moment, pour reprendre possession d’elle-même, elle toujours si calme. Et nous étions, de notre côté, saisis d’une vive émotion en face de cette âme humaine qui nous révélait le secret de sa vie intérieure et l’intensité de ses luttes.
Dans le train, au milieu du bruit, assise à côté de gens indifférents à ses préoccupations, elle eut conscience de la présence de Jésus. Elle se sentit pressée de prier et le fit avec plus de ferveur que jamais. Dans son angoisse extrême, elle s’en remit entièrement à Dieu. Alors lui revint une pensée qu’elle avait déjà eue lors de la construction de la chapelle, mais qui prenait maintenant une portée toute nouvelle. Elle songeait au temps où les pains et les poissons avaient été multipliés dans le désert, et se sentait poussée à prier Dieu de bénir de même la somme insuffisante dont elle disposait et de la rendre assez grande pour acquitter sa dette.
De retour chez elle, elle alla chercher la petite boîte où elle mettait l’argent pour la construction de la petite chapelle. La somme, qu’elle avait comptée avant son départ, n’était que de trois cent cinquante francs. Elle apporta la boîte dans la chambre où elle se tenait. Elle avait à la main quatre-vingt dix francs qui lui appartenaient. Elle les ajouta à l’argent du Seigneur et posa le tout sur la table. Il était midi. Le bureau de poste, attenant à l’appartement, était fermé. Elle était absolument seule.
Elle se jeta à genoux, joignit les mains au-dessus de la table où était la somme et pria Dieu de réaliser le désir qu’il avait lui-même mis dans son cœur. Dans sa foi naïve, elle disait : « Seigneur Jésus; bénis ton argent, comme tu as béni les pains dans le désert. J’y ajoute ma part aussi, je la mets avec la tienne, fais que cet argent suffise pour payer la dette. » Et elle demeura ainsi quelque temps en prière.
Alors elle compta cent francs, dont elle fit une pile à part; puis elle fit de même une seconde, une troisième fois, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il y eût sept piles de cent francs et une plus petite de cinquante et un. Elle constata qu’il y avait beaucoup de pièces d’or, alors qu’elles étaient auparavant en petite proportion dans la boîte. Et cela lui rappela les paroles de Esaïe : 60 / 17. (3) Avec un profond sentiment de gratitude, elle se jeta à genoux pour remercier le Seigneur, puis elle se releva et recompta soigneusement la somme. Elle étendit de nouveau les mains sur elle, et demanda à Jésus, dont elle sentait la présence, que la somme pût rester jusqu’au moment de payer.
Nous l’avons vue sortir cette boîte d’un tiroir pour nous la montrer. Personne, à la vue du gros trousseau de clefs qu’elle avait toujours sur elle, et du soin avec lequel elle ouvrait et refermait les tiroirs contenant ses papiers et ses registres, n’aurait pu mettre en doute que cette petite boîte de bois avait été soigneusement enfermée et absolument hors d’atteinte. Elle se rendit chez l’encaisseur et lui dit qu’il pouvait passer chez elle, qu’elle avait l’argent. Il ne pouvait pas le croire, connaissant sa détresse, et lui demanda comment elle s’était procuré la somme. Elle répondit tout simplement : « Le Seigneur l’a envoyée. » Deux jours plus tard, il la prévint qu’il passerait le lendemain pour encaisser le montant de la traite.
Ce jour-là, dès qu’elle eut fini son travail à la poste, et se retrouva seule, elle alla chercher la boîte et en vida de nouveau le contenu. Cette fois, elle se sentit poussée à commencer par mettre à part les quatre-vingt-dix francs qui lui appartenaient. Elle obéit à cette impulsion; puis elle étendit de nouveau les mains au-dessus de l’argent, elle pria et bénit Dieu, et lorsqu’elle compta, elle fut en présence d’une nouvelle preuve de la puissance de Dieu : la somme de sept cent cinquante et un francs était intacte, et à côté se trouvait son petit avoir, si péniblement amassé.
Le cœur trop plein de reconnaissance pour pouvoir parler, elle tomba à genoux, dans l’adoration. Elle comprit mieux alors ce qu’avait fait le Seigneur; elle avait donné sans compter ses propres économies, mais Dieu les lui rendait. Il voulait parfaire la somme sans les prendre. Elle Le pria encore de conserver la somme jusqu’au moment de payer.
Enfin l’encaisseur vint. Lorsqu’elle lui raconta l’histoire, il en fut fortement impressionné. Puis, comme elle avait fait les autres fois, elle versa l’argent sur la table, pria tranquillement et bénit Dieu, puis compta la somme et paya. Elle avait mis de côté son propre argent, et pourtant, après qu’elle eut payé, il restait quelques pièces d’argent. Elle avait demandé souvent à Dieu que sa petite boîte pût n’être jamais complètement vide, et Il s’était souvenu de cette prière. L’huissier en fut profondément ému et y ajouta une pièce de cinq francs, en disant : « Je désire ajouter mon offrande à ce merveilleux argent. »
C’est ainsi que la dette fut payée, et que notre amie entra en possession d’une quittance régulière. Elle écrivit alors une lettre qui devait être envoyée en même temps que l’argent au marchand de bois.