Telle est la peinture que Jésus fait de l’homme, et qui, mieux que lui, connaît le coeur de l’homme ? Il nous dit, en effet, que le pardon que Dieu nous a accordé est celui d’une faute énorme. Que sont donc les torts des autres à notre égard en comparaison de ce qui nous a été pardonné ? Et combien mesquins et petits nous sommes dans nos pensées et nos sentiments ! « Mais, me dira-t-on, vous ne savez pas combien il est dur de pardonner. » Oui, je le sais, je sais, qu’il y a des choses difficiles à oublier, des cas où l’on ne peut pardonner, de soi-même. Je suis heureux d’ajouter que je sais aussi autre chose; que je sais que, si vous laissez l’Esprit de Jésus remplir votre coeur, Il vous fera aimer des personnes que vous haïssez; et ce ne sera pas une simple attraction suscitée par une similitude de caractères, mais un vrai amour, une vraie sympathie venant du coeur. L’amour de Jésus, quand on lui laisse libre accès, remplit le coeur de pitié pour la personne qui vous a blessé il suscite une compassion tendre et infinie pour cette créature qu’une chute si profonde a rendue capable d’une si méchante action. Puisque les racines de la rancune plongent dans la haine, Satan a toute liberté d’agir dans le coeur d’un homme qui s’y adonne - La rancune ! Quelle famille se groupe autour de ce mot, au près et au loin ! La jalousie, l’envie, l’amertume, les mots acerbes, le sarcasme aiguisé et acéré comme le dard empoisonné d’une flèche, les regards mauvais, les lèvres amères: quelle triste parenté !
4. Eclaire-moi, ô mon Dieu !
Le péché, l’égoïsme, la rancune, que ces mots sont révélateurs ! Plus d’une belle vie passe spirituellement inutile, à cause de ces obstacles; et, par là même, le grand plan d’amour de Dieu est contrecarré; et des âmes sont perdues, à cause du petit nombre d’associés fidèles priant pour le salut du monde.
Adressons au Ciel cette prière : « Eclaire-moi, ô Dieu, connais mon coeur et aide-moi à le connaître; sonde-moi; pénètre mes pensées les plus profondes, mon but, mes ambitions les plus intimes, et aide-moi à les connaître; vois ce qui, en moi, est une source de chagrin pour Toi; puis conduis-moi, conduis-moi loin de cette voie dangereuse, dans Ta voie qui mène à la vie éternelle. (Psaume : 139 / 23-24) Au nom de Jésus et pour l’amour des hommes. Amen ! »
POURQUOI L’EXAUCEMENT TARDE-T-IL ?
A : Comment Dieu s’approche de l’homme
Dieu influence les hommes par les hommes; le chemin de l’esprit vers un coeur humain passe par un autre coeur humain. Nous pouvons dire, avec le respect dû à Dieu, et pourtant en toute vérité, que son plan de salut est entravé par des obstacles venant des hommes. Ces paroles paraissent signifier plus qu’elles ne signifient vraiment. L’idée que nous nous faisons de l’humanité est celle d’une société affaiblie, humiliée, amoindrie; mais quels grands changements peuvent survenir dès que l’Esprit de Dieu règne en Maître.
Dieu a besoin de l’homme pour achever son oeuvre; voilà le fait qui ressort d’une étude sur la prière. La prière est le meilleur agent de Dieu; c’est aussi le meilleur agent de l’homme, car l’intercession consiste à vaincre Satan et à gagner des hommes. Dieu compte sur notre effort, et Il peut compter entièrement sur l’homme qui, fidèlement, pratique la prière.
Les résultats que notre Père souhaite ont été retardés; ils ont été amoindris, parce que beaucoup d’entre nous n’ont pas appris à prier simplement et efficacement. Cela doit être appris. Dieu le sait et facilitera lui-même notre tâche. Nous devons dès lors être consentants, et notre consentement doit être actif; c’est là que gît la difficulté. Une forte volonté, cédant entièrement à la volonté divine, abdiquant ses droits devant des droits plus grands, voilà le plus puissant allié du Créateur pour Son oeuvre de rédemption.
Dieu retarde l’exaucement ou refuse de répondre à nos prières, soit par bonté, soit pour nous donner davantage, soit encore pour atteindre un résultat plus important; mais le fait primordial, c’est que les plans de Dieu sont entravés, entravés parce que nous ne voulons pas apprendre à prier, entravés par notre lenteur - je dirais presque notre stupidité - à apprendre à prier. Que ma prière soit exaucée ou non, cela importe peu, semble-t-il. Je ne nuis guère qu’à moi-même en priant peu ou en priant dans de mauvaises conditions. C’est là une grave erreur, car c’est une chose terrible que, par ma faute, l’exécution du plan de Dieu à l’égard du monde puisse être retardée. L’idée que la prière consiste dans un exaucement personnel est bien petite, bien mesquine, et pourtant bien courante Bien comprise, la prière fait de nous, en réalité, les collaborateurs de Dieu dans son oeuvre mondiale, et le reste vient à côté, comme un détail, d’ailleurs important.
La vraie raison du retard ou de l’échec dans l’exaucement est simplement la différence qu’il y a entre les points de vue divin et humain. Quand nous prions, ou bien nous n’avons pas atteint le degré de sagesse nécessaire, ou bien nous n’avons pas acquis le désintéressement qui nous rend propres à sacrifier une chose bonne à une meilleure, à la meilleure, le désintéressement qui sacrifie un petit désir personnel au salut des foules.
La méthode d’enseignement qu’affectionnait tout particulièrement Jésus était la méthode imagée; c’est par des comparaisons, par des récits, par des images que filtre mémoire est le plus vivement impressionnée. A notre tour, recourons à ce procédé. Il y a, dans la Bible, quatre exemples frappants de prières non exaucées. On pourrait en donner d’autres, mais ces quatre exemples ressortent tout spécialement et contiennent les principaux enseignements dont nous avons besoin. Tous les cas de prières non exaucées qui nous sont familiers se rattachent probablement à l’un de ces types; exceptons-en toutefois les cas où entre en jeu le grand obstacle extérieur que nous étudierons plus tard.
Ces quatre cas sont : la demande de Moïse d’entrer en Canaan, la prière d’Anne demandant un fils, l’écharde de Paul et la prière de Jésus à Gethsémané. Etudions-les tour à tour.
B : Pour le salut d’un peuple
Le premier cas est le refus qu’encourut la demande de Moïse.
Moïse était le guide de son peuple; d’où qu’on le considère, sous quelque angle qu’on l’examine, c’est un des géants de la race humaine. Ses lois sont encore la base de la jurisprudence. Nous voyons, par le récit qu’il nous fait de sa vie, que le secret de son pouvoir comme législateur, comme organisateur d’une nation aux destinées merveilleuses, comme chef et comme homme de erre, nous voyons, dis-je, que le secret de toute sa puissance résidait dans son commerce direct avec Dieu. Il a été et est encore aujourd’hui un type d’homme de prière. Il rapportait tout à Dieu et déclarait que toutes choses : lois, organisation, culte, plans, que tout lui venait de Dieu. Dans des circonstances critiques, quand une catastrophe morale était imminente, il implorait Dieu, et la situation était changée selon sa requête. Ses demandes personnelles lui étaient accordées. C’était avant tout un homme qui traitait avec Dieu directement, en toutes circonstances, simples ou complexes, personnelles ou d’ordre national. Ce que nous savons de lui montre que la prière est la simple et profonde explication de sa carrière étonnante. Il priait et Dieu agissait selon les prières de l’homme qu’il avait choisi. L’histoire de Moïse est la preuve de cette affirmation.
Nous trouvons toutefois dans sa vie une exception, une seule. Le fait que l’exception est unique dans une longue carrière est justement ce qui rend ce cas si frappant. Moïse, à différentes reprises, pria Dieu de lui accorder un certain exaucement, et toujours il lui fut refusé. Dieu pourtant n’est ni capricieux, ni arbitraire; il doit donc y avoir une raison à ce refus. La raison existe en effet, claire et compréhensible.
Voici les faits : Le peuple d’Israël, libéré du joug des Pharaons, était une troupe indisciplinée et avec laquelle il était difficile de vivre toujours d’accord. Les Israélites étaient lents, sensuels, mesquins, ignorants, impulsifs, immodérés, pénibles, énervants. Quelle entreprise que de vouloir faire de ces anciens esclaves une nation, la nation par excellence, dans laquelle se concentraient toute l’ambition profonde et tout l’amour clairvoyant de Dieu; quelle entreprise que de transformer le monde avec un si misérable outil ! Comparez-les avec l’Eglise édifiée par les apôtres, ces paysans de Galilée. Quelle victoire ! Dieu seul pouvait accomplir de telles choses ! Mais quelle patience il fallut pour éduquer ce peuple ! Moïse avait appris la patience quand il vivait avec ses brebis dans le désert; Dieu la lui avait enseignée; mais le caractère inconstant de ce troupeau d’anciens esclaves porta cette qualité bien près de la perfection.
Venons-en maintenant au fait qui nous occupe Le peuple d’Israël manque d’eau; la soif l’oppresse, et la soif n’était pas peu de chose au milieu de ces déserts de sable; il y avait là des milliers d’êtres humains, des femmes, des enfants, du bétail, qui en souffraient. Tout cela, pourtant, avait peu d’importance, très peu même, car Dieu était là et l’expédition était Sa chose, Sa préoccupation; cet étrange voyage était Son affaire. De plus, dans leur courte expérience, les fugitifs connaissaient leur Guide suffisamment bien pour oser attendre un secours correspondant à leurs besoins ... et plus encore. Ne se souvenaient-ils plus de cette série d’événements étonnants qui eurent lieu, avant la sortie de l’Egypte ? Avaient-ils oublié le passage de la Mer Rouge, la nourriture fraîche déposée chaque jour à la porte dé chaque tente, le gibier, les oiseaux exquis - et cela seul eût dû suffire - l’eau, l’eau de source coulant fraîche, abondante et limpide du coeur d’un rocher. Oui, assurément, c’était fort peu de chose que de manquer d’eau quand un Dieu généreux marchait avec Son peuple.
Mais, ils oublièrent. Leurs sens étaient plus aiguisés que leurs mémoires; leurs appétits les guidaient plus que leurs coeurs, et les oignons d’Egypte avaient produit sur eux une impression plus durable que ce Dieu tendre et patient. Ils oublièrent même les eaux limpides jaillissant des rochers. Nous devons être de la même race que ce peuple, car il semble que nous ayons plus d’un trait commun avec lui.
Mais écoutez la suite. Ils commencent à se plaindre. Dieu, patient, ne dit rien, mais pourvoit à leurs besoins. Moïse, lui, n’a pas encore atteint le haut développement auquel l’amèneront des expériences ultérieures. Il remplace Dieu auprès des Israélites. Combien toutefois il Lui ressemble peut ! Irrité, il prononce des paroles de colère et frappe le roc. Il était dans le plan de Dieu de le frapper une fois et de parler ensuite avec calme. Combien de fois, nous aussi, n’avons-nous pas frappé le roc dans notre impatience. Les eaux néanmoins jaillirent. Voilà la réponse de Dieu, plein de sollicitude pour ceux qui viennent de Le mépriser et de Lui désobéir.
Et maintenant, tout le peuple, penché vers le ruisseau, se désaltère, tandis que Dieu, là-haut, se tient dans l’ombre, affligé, profondément affligé de la fausse idée que Son peuple s’est faite de Lui, à cause de la colère de Moïse. Les paroles enflammées et le regard irrité de ce dernier ont occasionné dans leurs esprits une blessure morale que des années ne guériront pas. Il faut que quelque chose soit fait en faveur du peuple. Moïse a désobéi à Dieu; Moïse a déshonoré Dieu, et toutefois les eaux ont été accordées, car les Israélites en avaient besoin, mais il fallait qu’ils apprissent la nécessité de l’obéissance, le danger de la désobéissance; il fallait qu’ils l’apprissent de manière à ne jamais l’oublier.
Moïse était un chef. Les chefs peuvent ne pas agir comme de simples mortels; on ne les traite pas non plus de la même manière, car ils dominent le peuple de très haut et leur influence est immense. Aussi Dieu dit à Moïse : « Tu n’entreras pas dans le pays de Canaan; tu conduiras mon peuple jusqu’à la frontière; tu pourras même apercevoir le pays de loin, mais tu n’y entreras pas. »
Punition sévère pour Moïse, mais plus dure encore pour Dieu, dont le coeur est plus tendre que celui de Moïse. Il est hors de doute que ces paroles rigoureuses furent prononcées bien à contre-coeur; elles furent dites pour le bien de Moïse. Il n’importe, elles furent prononcées nettement, irrévocablement, pour le bien de tous. Moïse désirait ardemment que cette décision pût être changée; plusieurs fois il supplia l’Eternel de revenir sur Ses paroles sévères, car il désirait voir ce pays merveilleux que Dieu avait choisi; il sentait le dard de la punition; la brûlure du fouet de la discipline le faisait cruellement souffrir. Dieu lui répondit : « Ne me parle plus de cela. » Donc, rien à faire; la décision était irrévocable. Elle ne l’eût pas été si Moïse seul avait été en cause, car les actions qui précédèrent sa faute parlaient hautement en sa faveur; mais il s’agissait du salut d’une nation, bien plus, du salut de tout un monde prodigue dont cette nation devait être l’instrument; Dieu ne pouvait revenir en arrière. Ce refus, pour les Hébreux, fut une leçon d’obéissance, une leçon de respect, qu’aucun ordre, aucun miracle, même la mort des Egyptiens dans la Mer Rouge, n’avaient encore obtenue, et, de tente en tente, alors qu’on se réunissait pour le repas du soir, on chuchotait ces paroles : « Moïse a désobéi; il a manqué de respect à Dieu; il n’entrera pas dans le pays de Canaan. » Ces paroles se disaient à l’oreille; elles attristaient les coeurs, et, à mesure qu’elles passaient de bouche en bouche, on voyait sur les visages des signes de frayeur et d’émotion. Bien des femmes et des enfants pleuraient. Ils aimaient tous Moïse, et tous ils l’honoraient. Quelle joie ils auraient eue de le voir franchir avec eux les frontières de la terre promise !
Ces deux mots : obéissance ... , désobéissance, restèrent, des années durant, présents à l’esprit du peuple. Longtemps après, il est sûrement arrivé qu’une femme israélite raconta à son enfant, curieux d’entendre une histoire, celle de Moïse, le grand conducteur du peuple d’Israël; elle lui aura décrit son aspect extérieur, ses yeux enfoncés, sa longue barbe, son air majestueux, et, avec tout cela, sa tendresse et la douceur qui accompagnait sa force; elle lui aura sûrement parlé de sa rencontre avec Dieu sur la montagne. L’enfant a écouté tranquillement; puis ses yeux se sont ouverts tout grands en entendant sa mère conclure par ces mots : « Mais il ne put entrer dans la terre promise, car il désobéit à Dieu ». Plus d’un père a répété maintes fois à ses garçons l’histoire du grand prophète, et ainsi furent tissés, dans la trame même de la vie nationale, ces mots: obéissance, respectueuse obéissance à Dieu. Quant à Moïse, nous pouvons facilement nous le représenter regardant du haut des cieux sur la terre, heureux de ce que sa demande ait été refusée pour le salut de son peuple.
La prière d’un homme ne fut pas exaucée pour qu’une nation apprît l’obéissance.
C : Rejet d’une prière en vue d’une plus grande bénédiction
Etudions maintenant le deuxième cas, l’histoire d’Anne, et traçons tout d’abord quelques lignes générales pour situer le sujet.
Dans le temps qui sépare les deux captivités, celle d’Egypte et celle de Chaldée, le peuple d’Israël passa moralement par deux périodes d’effondrement; par deux fois, l’esprit national subit un triste déclin, jusqu’à ce qu’il s’annihilât dans la vallée de l’Euphrate. Elie fit une suprême tentative qui retarda quelque peu la catastrophe finale. L’histoire d’Anne se rattache par contre à la première de ces tristes périodes, au premier affaiblissement, à la première humiliation.
Depuis longtemps déjà, le grand législateur n’est plus; son successeur, lui aussi, est parti, suivi d’une génération, d’une seconde et de plusieurs encore. Les géants ont fait place à des chefs de force inférieure; mais ces derniers aussi sont partis. Les sommets des montagnes sont devenus des collines, celles-ci ce sont transformées en dunes, puis tout a été nivelé, et maintenant, tout est plat, mortellement plat.
Le peuple d’Israël est sans guide. Il commença par ignorer son vrai Chef, ensuite il l’oublia; sans idéal, il marche, la tête baissée, vers la terre qu’il laboure. Il y a bien, au fond, dissimulé, un bon courant; mais il faudrait un chef pour l’amener à la surface. Pauvre peuple égaré !
Telle était la situation au temps où se passe l’histoire d’Anne. La nation descendait rapidement vers les plus bas échelons de l’échelle morale. A Siloé, l’ancienne forme de culte était maintenue; à quoi bon ? Ses prêtres étaient souillés des pires impuretés. Une anarchie lourde et inconsciente prévalait dans le pays. Tout homme faisait ce qui lui semblait bon. Il n’y avait personne qui eût la force de réprimer les abus ou la puissance de faire rougir de honte ceux qui les commettaient. Pas de gouvernement, pas d’esprit dominant; on eût trouvé chez le peuple d’Israël le même état que celui qui régnait à Sodome.
Voilà l’arrière-plan du tableau où se passe l’histoire d’Anne, arrière-plan qu’il importe de connaître si l’on veut comprendre la scène qui s’y déroula.
Dans la partie montagneuse d’Ephraïm vivait un homme au coeur pur et bon; il était fermier, cultivait la terre, récoltait du blé et des fruits. Homme sérieux, sa piété, toutefois, ne dépassait pas celle de son épouse; habitant non loin de Siloé, lieu de culte national, il s’y rendait chaque année avec sa famille; mais la malédiction de Lamech était sur son foyer. Il avait deux femmes dont Anne était la préférée. Aimable et réfléchie, elle était douée d’un esprit profond et sérieux; malheureusement elle eut un désappointement qui s’accrut avec les ans; son plus grand désir n’avait pas été accompli; elle n’avait pas d’enfants.
Quoique le fait ne soit pas mentionné, nous pouvons conclure du récit qu’elle suppliait Dieu ardemment et incessamment; mais, à sa grande surprise, à son grand chagrin, la réponse désirée n’arrivait pas. Sa rivale - quel triste mot pour la femme qui vivait au même foyer ! - augmentait son affliction et lui prodiguait les mortifications pour la porter à s’irriter contre l’Eternel. Or, toutes les années et durant toute l’année, il en était ainsi; cette femme méchante et mesquine était son tourment continuel. Quel intérieur agréable! Est-il étonnant, après cela, « que l’âme pleine d’amertume, elle ait pleuré » ? Son mari essaie tendrement de la consoler. En vain; son âme est blessée profondément. De nouvelles années passent et, de nouveau, supplications et prières montent au Ciel. Toujours pas de réponse et toujours, autour d’elle, cette atmosphère amère, ces allusions irritantes. « Pourquoi, se dit-elle, pourquoi ne suis-je pas exaucée ? »
Que se passait-il ? Il est nécessaire de reculer un peu pour obtenir une vision plus large du sujet, car les limites étroites de l’entourage de cette femme, et je dirais presque de son esprit, nous empêchent d’en juger sainement.
Voici ce qu’elle voyait; son plus grand espoir inexaucé, ses années de prière demeurant sans résultat, une querelle incessante dans son propre foyer.
Voici ce qu’elle désirait : un fils. Tel était son horizon et ses pensées ne le dépassaient pas.
Voici ce que Dieu voyait : une nation, la nation dont Il avait fait le centre de son plan rédempteur, la nation qui devait ramener à Lui le monde prodigue. Or, le messager envoyé vers l’enfant prodigue avait été séduit par ce dernier. La nation rédemptrice s’était perdue elle-même; et le projet si longuement et si patiemment nourri, dont la réalisation devait être le salut d’un monde, était menacé d’un échec complet.
Voici ce qu’il désirait : un chef ! Mais il n’y en avait pas; pis même, il n’y avait pas d’homme dont on pût faire un chef, aucun homme qui eût en lui l’étoffe d’un général. Pis encore, il n’y avait pas de femmes capables d’élever et de former un homme pour cette haute mission. Tel était le degré de décadence auquel ce peuple était arrivé, le plus bas degré qu’une nation puisse atteindre. Il fallait à Dieu une femme d’élite avant d’avoir l’homme d’élite. Anne avait les qualités dont Il avait besoin : Dieu lui fit l’honneur de la choisir. Mais, avant qu’elle pût être utile, il fallait que son coeur fût changé. Viennent alors ces années d’épreuves, de soucis, qui avaient pour but de discipliner son coeur. Ce temps d’épreuve, les expériences qu’elle en tira, en firent une nouvelle femme dont la vision s’était élargie, l’esprit mûri et les forces développées; une femme dont la ferme volonté savait se plier devant une volonté plus haute et sacrifier le plus grand de ses désirs à l’intérêt mondial; une femme, enfin, qui sut vouloir que son trésor le plus précieux fût avant tout le trésor de son peuple.
Elle passa en prière les mois pendant lesquels elle l’attendait. Et Samuel naquit, enveloppé, dès avant sa naissance, d’une atmosphère de prière et de consécration à la volonté de Dieu. L’influence de la piété maternelle produisit l’homme que Dieu voulait, et ainsi une nation, la nation par excellence, et le plan du salut du monde étaient sauvés. Cet homme était une réponse vivante à la prière. L’histoire touchante du petit garçon du tabernacle de Silo se répandit rapidement à travers la nation; son nom de Samuel - c’est-à-dire Dieu exauce - était une preuve pour le peuple de la présence active de Dieu et du pouvoir de la prière. Samuel, comme enfant, comme homme et comme vieillard, était une preuve visible de l’exaucement de la prière et la reconnaissance de la foi religieuse, que son activité suscita dans le peuple, eut son point de départ dans l’histoire extraordinaire de sa naissance.
Dieu retarda sa réponse pour pouvoir donner davantage. Et le joyeux cantique de louange, qui sortit des lèvres d’Anne, montre la perfection morale que son âme avait atteinte; il montre aussi sa reconnaissance pour ce Dieu qui, patiemment et à dessein, avait retardé sa réponse. D : L’explication d’une grande épreuve
La troisième grande figure de ce groupe est celle de Paul.
Lorsqu’on parle de l’exaucement de nos prières, une question se pose presque inévitablement : « Comment expliquer l’écharde dans la chair dont parle Paul ? » Cette question, des âmes sérieusement embarrassées se la sont posée; elle a été soulevée aussi par des gens heureux de rencontrer cette difficulté pour en tirer une théorie hostile au christianisme.
Ces quatre portraits : de Moïse, d’Anne, de Paul, de Jésus, nous ont été donnés pour notre édification examinons maintenant le troisième et voyons l’apport dont cette belle figure enrichira nos coeurs.
Et, tout d’abord, étudions Paul lui-même. La meilleure explication de cette « écharde » c’est lui qui nous la donne; l’homme explique l’épreuve.
La tête de Paul est entourée d’une auréole de gloire; quel homme consacré à Dieu ! Il fut son élu pour un ministère spécial. Un des douze apôtres aurait pu être choisi pour ouvrir la porte du grand monde païen; mais Dieu préféra sortir de ce cercle et choisir, pour ce vaste domaine, un homme d’éducation différente.
Né et éduqué eh pleine atmosphère juive, jamais il ne perdit le point de vue juif; toutefois son entourage, le contact qu’il eut avec la culture grecque, la tournure de son esprit, le rendirent particulièrement apte à la tâche immense qui lui fut dévolue. Son esprit éminemment dialectique, sa vive imagination, sa volonté de fer, sa piété ardente, sa persévérance inébranlable, le tendre attachement qu’il professait pour son Maître font de lui un homme hors pair.
On s’explique dès lors le désir de Dieu d’attacher à Son service un homme de cette envergure. Paul, cependant, avait ses côtés faibles. Evoquons-les modestement, nous souvenant qu’une faute chez lui rappelle les fautes innombrables que nous avons commises nous-mêmes. Le point faible d’un homme est généralement le contraire de son point fort. Paul avait une volonté terrible; jugé sous cet angle, il était un géant, un Hercule. Ses voyages incessants, pleins de redoutables expériences proclament cette volonté forte et surhumaine. Mais, avouons-le, il lui arrivait de pousser à l’extrême cette énergie. C’était un effet, sans doute, de ses nerfs surexcités. Mais enfin, parfois, il était obstiné, entêté et dur; parfois, il attaquait avec violence, il fonçait, la tête baissée. Disons-le tout bas, car nous parlons de notre vieux saint Paul qui nous est infiniment cher; mais disons-le cependant, car c’est la vérité.
Dieu eut à lutter pour maintenir Paul dans le chemin qu’il désirait lui voir suivre, car l’apôtre avait parfois ses projets à lui. Si vous voulez vous en rendre compte, considérez-le dans ses tournées, suivez-le quand il s’élance passionnément à l’assaut des idées païennes. Lisez, par exemple, dans le seizième chapitre du livre des Actes : « Ayant été empêchés par le Saint-Esprit d’annoncer la Parole dans l’Asie ... » (Actes : 16 / 6) et rapprochez ces paroles de la maladie qui le frappa en Galatie, où lui parvint cette défense de partir. Continuant notre lecture, nous trouvons ces mots : « Ils se disposaient à entrer en Bithynie, mais l’esprit de Jésus ne le leur permit pas » (Actes : 16 / 7)
Sont-ce là les voies de l’Esprit de Dieu ? Nous laisse-t-Il nous lancer dans une voie pour nous arrêter subitement et nous faire rebrousser chemin ? Assurément, c’est ce qu’il est obligé de faire souvent avec nous; mais est-ce là la manière d’agir qu’il préfère ? Est-ce là sa vraie méthode ? Evidemment non. Il préfère se tenir près de nous sans intervenir, invisible, mais surveillant tous nos pas; Il préfère l’attitude de Jésus qui disait : « Pour moi, je ne monte pas à la fête » (Jean : 7- 8) ; puis qui, quelques jours plus tard, y monte, car Il en avait reçu l’ordre formel. Ces mots : Ils se disposaient à aller ... Ils furent empêchés ... Il ne permit pas ... sont des mots révélateurs; ils nous font connaître le caractère de Paul, cet homme énergique.
Il y a encore une preuve beaucoup plus forte. Paul caressait l’ambition de parler aux Juifs de Jérusalem; dès le début de sa nouvelle vie, ce désir le brûla. Le mot de Jérusalem semble avoir hanté ses pensées et ses rêves. Oh ! Si seulement il pouvait parler à ces Juifs de Jérusalem ! Il les connaissait. Il s’était formé au milieu d’eux. Il était un des chef de la jeunesse juive; et, quand ses compatriotes étaient enflammés de colère contre ces chrétiens, lui l’était plus qu’aucun d’entre eux. Ces Juifs le connaissaient aussi; ils comptaient sur Paul pour tenir tête à cette nouvelle secte. Ah ! Si seulement il avait l’occasion d’aller là-bas, il sentait qu’il pourrait transformer le courant antichrétien. Mais dès l’heure critique qu’il vécut sur le chemin de Damas, ces mots résonnèrent à ses oreilles : « Les Gentils ! ... Les Gentils ! ... » Et il avait obéi; oui, il avait obéi avec toute l’ardeur de son cœur transformé. Mais ... mais ... ces Juifs de Jérusalem ! Si seulement il pouvait aller vers eux !
Le Maître, cependant, dès la conversion de Saul, ne permit pas à ce nouveau disciple de Le servir à Jérusalem. Il lui fit connaître ses intentions par une vision spéciale qu’il eut dans le temple : « Ils ne recevront pas ton témoignage à mon sujet » (Actes : 22 / 17-21) Ces paroles ne sont-elles pas assez catégoriques ? - Pourtant, chose étonnante, Paul essaie de prouver au Maître qu’il pourrait lui permettre de rester à Jérusalem. C’était prendre trop de liberté. Comment ! Un subordonné discutant avec son général en chef les ordres qui lui ont été dictés ! C’en était trop ! Le Maître termine la vision par un commandement préparatoire : « Va ! Je t’enverrai au loin (loin de Jérusalem où tu désires agir) vers les païens »
Voilà un portrait de cet homme; il nous révèle le côté faible de ce géant qui nous domine par la force et par l’amour. Tel est l’homme que Dieu a employé pour accomplir son plan; c’était évidemment l’homme le plus capable; dans sa grandeur, il dépassait de la tête les hommes de sa génération et de celles qui suivirent. Néanmoins, avec le respect qui lui est dû, nous devons ajouter que Dieu eut de la peine à le faire travailler toujours dans la voie qu’il lui avait destinée.
Ceci dit de l’homme, voyons quelle était son écharde. D’après ce que nous savons, il y eut quelque chose dans la vie de Paul qui fut pour lui une constante épreuve. Il l’appelle une écharde; ce mot est tout à fait expressif : une pointe acérée s’enfonçant dans sa chair, le piquant, le faisant souffrir sans cesse; qu’il soit endormi ou éveillé, qu’il tisse de la toile, qu’il prêche ou qu’il écrive, toujours cette épine plantait son dard dans sa chair vive. Il ne s’en émut pas beaucoup au début, parce qu’il pouvait s’adresser à Dieu. Il le pria et Lui dit : « Je T’en prie, enlève-la ». Mais l’épine resta. Il renouvela sa prière une deuxième fois, la faisant plus urgente à mesure que la douleur augmentait. Aucun changement. L’épreuve du temps est la plus dure de toutes - Toujours aucun changement. Une troisième fois, il crie à Dieu, mettant dans sa prière toute l’énergie et tout le sérieux possibles.
Remarquez maintenant trois choses : Premièrement, il y eut une réponse. Dieu répondit à l’homme. Quoiqu’il n’exauçât pas sa prière, Il lui répondit; Il ne feignit pas de l’ignorer, lui et sa requête. Puis, il dit franchement à Paul qu’il valait mieux ne pas enlever cette écharde. C’est probablement pendant les longues heures d’une nuit d’insomnie que l’Esprit de Jésus s’approcha de Paul. Sans être entendu de personne autre, Il lui parla tendrement, avec la douceur d’un homme qui cause avec un ami « Paul, disait la voix, Je connais cette écharde, Je sais qu’elle te blesse; elle Me blesse aussi. Si Je ne regardais qu’à toi, Je l’enlèverais sans tarder; mais, Paul, - et sa voix se faisait plus douce encore - vaut mieux, pour le salut des autres, que tu continues d’en souffrir; par toi, Mon plan peut s’accomplir pour des milliers et des milliers de tes frères »
Telles furent les premières paroles de leur entretien. Et Paul resta couché, réfléchissant, l’esprit profondément troublé.
Au bout de quelques instants, la voix se fit de nouveau entendre, plus calme encore : « Je serai à tes côtés; tu recevras de telles révélations de Ma gloire que ta peine en sera atténuée; la gloire surpassera la douleur »
Je me représente Paul, âgé et courbé, se tenant un soir dans la maison qu’il a louée à Rome. Il est tard; la journée a été dure; les auditeurs sont tous partis. L’apôtre, assis sur un vieux banc, jouit d’un peu de tranquillité avant d’aller prendre quelques heures de repos. Il a, à ses côtés, Luc, l’ami fidèle, et le jeune Timothée. Les yeux brillants, la voix tremblante d’émotion, il leur dit justement : « Voyez-vous, mes amis, je ne voudrais pas ne pas avoir cette écharde, à cause de la présence glorieuse et merveilleuse - il met tout son coeur dans ses paroles et sa voix tremble d’émotion; - ayant dû s’interrompre, il reprend: oui, à cause de la présence glorieuse et admirable de Jésus qui, par le moyen de cette épreuve, m’a été accordée »
Ainsi donc, une double bénédiction sortit de cette expérience; premièrement, le travail eh vue de la rédemption de la terre fut activé, et secondement, la communion entre Dieu et Paul devint beaucoup plus intime.
Dieu répondit à la prière de l’homme, mais Il refusa de l’exaucer pour que cet homme pût mieux servir Son Plan Rédempteur.
E : Priant à genoux
Le dernier de ces portraits ressemble à la Madone Sixtine de Raphaël au Musée, de Dresde. Comme à Dresde aussi, une salle entière lui est réservée. On entre silencieusement, respectueusement et l’on aperçoit Jésus à Gethsémané. Voici le Cédron, la colline, le groupe de vieux oliviers noueux. La lune éclaire nettement la scène qui s’y passe; sa lumière rend plus noire encore ce fouillis d’ombre; sur le sol, quelques hommes; ils semblent dormir. Plus loin, parmi les arbres, un plus petit groupe d’hommes se tient immobile. Eux aussi, ils dorment. Plus loin encore, se dresse une forme solitaire; Il est seul, tout seul; jamais Il n’a été plus seul, sauf une fois, le lendemain.
Il y a un pressentiment de l’agonie de Gethsémané dans l’entretien que, quelques jours auparavant, les Grecs demandèrent à Jésus. L’agonie du Mont des Oliviers commença lors de la vision que les Grecs provoquèrent involontairement, mais elle atteignit son plus haut degré sous ces arbres qu’éclairait la lune.
Jésus ! Fils de Dieu! Dieu le Fils ! Le Fils de l’Homme : Dieu, un homme !
Personne n’a encore établi la démarcation entre Sa divinité et Son humanité; personne ne le fera jamais, car l’union du divin et de l’humain est divine en elle-même et dépasse par là même l’entendement humain. Dans la scène que nous évoquons, Son humanité est mise en évidence elle ressort pathétique et lumineuse. Soyons pleins de respect en abordant ce sujet : c’est un terrain sacré. Le sort de la bataille du jour suivant a été décidé là. La victoire manifestée sur le Calvaire a été remportée dans les bosquets de Gethsémané.
Il est absolument impossible à l’homme, souillé depuis des siècles par le péché, de comprendre l’horreur qu’éprouve au contact du mal une âme pure de toute souillure. Lorsqu’il pénétra dans le Jardin des Oliviers, cette nuit-là, Jésus se rendit compte qu’il entrait en contact - le mot a ici une portée qui nous dépasse - avec le péché; une horreur intense le saisit. Fait mystérieux, Il allait être « fait péché » (2 Corinthiens : 5 / 21) pour nous.
Les mots employés pour décrire Ses émotions sont si forts qu’aucun équivalent français ne semble capable d’en exprimer l’intensité. Une horreur indescriptible, un frisson de terreur, un tremblement d’effroi le saisirent. Les miasmes empoisonnés du péché paraissent remplir Ses narines et L’étouffer. Là-bas, seul, au milieu des arbres, Il est en proie à l’agonie; la pensée de la mort l’étreint. N’y aurait-il pas quelque autre moyen de sauver le monde que celui-ci ... , oui, que celui-ci ? Sa prière nous parvient entrecoupée; Sa voix est étrangement altérée par l’émotion. « S’il est possible ... que cette coupe passe loin de moi ! » On sent, dans ces mots, comme l’espérance d’une autre solution. (L’auteur de l’épître aux Hébreux jette de la lumière sur ce sujet). La tension de Son esprit est si grande que Sa vie même semble défaillir. Il fait alors monter vers les Cieux une prière entrecoupée, pour demander du secours, et les anges descendent pour Le fortifier. Avec quel respect ne doivent-ils pas L’avoir secouru !
Cependant, même après cette intervention, la lutte continue; puis, peu à peu le calme renaît, et, de l’obscurité grandissante, monte une deuxième supplication. La tempête est apaisée; c’est maintenant la victoire entière et complète, et la prière, dès lors, se transforme. « S’il n’est pas possible que cette coupe s’éloigne, si elle est nécessaire à l’achèvement de Ton plan rédempteur – Ta ... volonté - ces mots viennent lentement, mais distinctement – Ta ... volonté ... soit ... faite ... »
C’est à genoux, c’est en priant qu’il transforma Son cri de détresse en un cri d’obéissance. Dans la solitude, Dieu lui révéla quelle était sa volonté :
Au Mont des Oliviers, mon Maître se rendit,
Écrasé par son faix de péché et de honte,
Au Mont des Oliviers, mon Maître se rendit,
Sentant faiblir son coeur devant le flot qui monte
Mais les vieux oliviers au feuillage gris-vert
S’émurent à sa vue de façon bien touchante,
Heureux de saluer le Roi de l’univers
Et de sympathiser à sa douleur poignante,